La petite Nâne venait d'entrer, derrière sa maman, dans la cabine qui leur était réservée sur le Polynésien. Tout de suite elle prononça, de son étrange petite voix nette, très décidée, presque impérieuse, et où traînait cet indéfinissable accent que prennent les enfants européens élevés parmi des serviteurs indigènes :
- C'est ça les maisons, c'est ça les chambres en France ? Eh bien, c'est vilain !
Et se retournant vers Ti-Haï, sa vieille ba-hia annamite, elle dit :
- Où ça y en a moyen jouer ?
- Tu joueras sur le pont, répondit sa mère ; il y a beaucoup de place sur le pont… et dans la batterie aussi, c'est tout à fait la place pour les petites filles, la batterie.
Un frisson, pendant qu'elle parlait, venait de lui glacer les veines, malgré la chaleur mouillée de cette fin de journée saïgonnaise ; elle avait si peur de ce voyage, si peur ! Elle se rappelait l'autre, sa première petite Jeanne, qu'un coup de roulis avait précipitée dans l'Océan Indien, six années auparavant, comme elle retournait à Madagascar avec son mari ; on n'avait même pas retrouvé son corps, ce corps léger d'enfant, tranché peut-être d'un seul coup par l'hélice aux ailes d'acier… Oui, le demi-jour de la batterie, ceinte de tous côtés par les cabines, offrait plus de sécurité que le pont des premières, au-dessus des vagues perfides. Pour cacher son émotion, sa voix blâma