« Monsieur, quand je vins m'établir ici, je trouvai dans cette partie du canton une douzaine de crétins, dit le médecin en se retournant pour montrer à l'officier les maisons ruinées. La situation de ce hameau dans un fond sans courant d'air, près du torrent dont l'eau provient des neiges fondues, privé des bienfaits du soleil, qui n'éclaire que le sommet de la montagne, tout y favorise la propagation de cette affreuse maladie. Les lois ne défendent pas l'accouplement de ces malheureux, protégés ici par une superstition dont la puissance m'était inconnue, que j'ai d'abord condamnée, puis admirée. Le crétinisme se serait donc étendu depuis cet endroit jusqu'à la vallée. N'était-ce pas rendre un grand service au pays que d'arrêter cette contagion physique et intellectuelle ? Malgré son urgence, ce bienfait pouvait coûter la vie à celui qui entreprendrait de l'opérer. Ici, comme dans les autres sphères sociales, pour accomplir le bien, il fallait froisser, non pas des intérêts, mais, chose plus dangereuse à manier, des idées religieuses converties en superstition, la forme la plus indestructible des idées humaines. Je ne m'effrayai de rien. »
Mais ce roman de 1833 n'est pas simplement le récit d'un homme qui consacre sa vie au bonheur d'un village, un rénovateur qui donne à Balzac l'occasion d'analyser le développement rural et d'inscrire en son livre une certaine utopie.
Le Médecin de campagne est aussi une histoire privée, celle précisément du docteur Benassis, prise entre un début malheureux et une fin prématurée.